L’obsession de la communication dans la nouvelle gouvernance

(« Il est terminé le temps des gadgets, des formules, des communications, le temps est venu de la vérité », J.P. Raffarin, 2003)

Dans le rapport parlementaire sur la canicule qui a été adopté le 25 février 2004, on peut lire ce constat accablant : « La DGS diffuse un communiqué le 8 août à 16 h 39 sous l’intitulé « Fortes chaleurs en France : recommandations sanitaires ». Il est assez archétypal de la lourdeur de cette administration centrale. Il faut tout d’abord observer qu’il a fallu deux jours de négociations entre plusieurs services et le cabinet du ministre pour l’élaborer. Son contenu est affligeant, se bornant à rappeler les risques découlant de la chaleur. (…) le plus surprenant est sans doute que, malgré l’accumulation de signaux inquiétants, cette communication rassurante perdurera jusqu’au 13 août. »

Durant ces deux jours, pendant que des centaines de personnes âgées mourraient dans le silence, les services du ministère de la santé ont fait amender ad nauseam par les services de la DGS un communiqué dont la substance finale était équivalente au communiqué diffusé par Météo France 4 jours auparavant. Deux jours d’intense activité dans des bureaux climatisés pour faire quoi ?
Pour sauver la face. Pour tenter par avance d’établir la non responsabilité du gouvernement dans une crise sanitaire comptabilisant 14 947 décès . Quelles que soient les conclusions du rapport parlementaire, nous aurons au moins appris une chose : le gouvernement actuel fait passer la gestion de son image avant la gestion tout court. Quand les deux ne coïncident pas, le gouvernement forme d’urgence une cellule de crise… de communication.

Et les crises de communication, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n’a connu que cela depuis qu’il est en place. Les intermittents protestent car ils craignent que leur système d’assurance chômage soit mis à mal, et que leur répond-on : « vous nous avez mal compris, nous faisons tout pour sauver votre statut ». Les enseignants se mettent en grève, défilent durant un mois dans les rues contre la décentralisation de l’éducation nationale, et qu’entend-on du côté du gouvernement : « nous avons été mal compris ». Les chercheurs se plaignent de voir leurs budgets ramenés à peau de chagrin : « nous n’avons qu’une seule préoccupation, que la recherche française soit au plus haut niveau ». Etc. Il n’y a pas de problème, que des malentendus. Tout est solvable dans une bonne communication.

Il n’y a pas un événement politique de ces deux dernières années qui n’ait été posé, envisagé, soupesé d’abord comme un problème médiatique. A commencer par le premier de ces événements : l’élection au premier tour des présidentielles de Jean-Marie Le Pen. La plus grande victoire d’un extrême politique depuis celle des communistes après la guerre (il la méritait bien pour avoir résister). Ce jour là, Le Pen a pu remercier la campagne de communication sur l’insécurité galopante savamment concoctée par l’Elysée avec l’aide de TF1 et la complicité concurrente – quoique peut-être involontaire – de France 2. [Certes ces accusations ne sont pas étayées par des preuves, mais qu’on me permette de les maintenir puisqu’elles visent l’hôte de la présidence qui n’est justiciable devant aucune cour en France. S’il n’est pas justiciable, on peut bien l’accuser librement de tous les maux, n’est-ce pas ?] Et depuis, pas un ministre, et surtout pas celui qui se targue de la plus grande popularité parmi les Français, n’a échappé à la règle. Tout est communication, c’est écrit dans le précis de la nouvelle gouvernance de Jean-Pierre Raffarin. La démocratie moderne, selon lui, consiste à construire – artificiellement ou non – un consensus autour d’une décision que l’on a déjà prise et que l’on s’apprête à annoncer.

Mais l’actuel premier ministre n’a rien inventé qui n’ait été déjà fait outre-Atlantique et qui n’ait été importé par les grands communicants comme Jacques Séguéla. Les formules dont Jean-Pierre Raffarin rehausse ses discours sont le juste milieu entre la petite phrase et la base line publicitaire du concepteur rédacteur. Une nouvelle réforme, vite un nouveau packaging ! 15 000 morts, vite un slogan ! Une manifestation, vite un « je vous ai compris » gaullien ! Une statistique gênante, vite « un plan Marshall » ou une « fracture à réduire » !

On aura noté que tous les ministres n’ont pas les talents requis pour pratiquer l’art de la nouvelle gouvernance avec la même habilité que le premier d’entre eux. Et c’est justement en observant le concert de fausses notes donné par les Ferry, Bachelot, Mattei ou Mer que l’on a pu détailler la méthode Raffarin. Chaque fois ce dernier a du refaire la leçon, laborieusement, comme un enseignant fatigué expliquant pour la énième fois à un élève bouché, comment il faut doser les dénégations, les déclarations de bonnes intentions, polir le message, prendre à parti une minorité électorale, bref, comment réussir sa sauce démagogique pour faire passer les « dures mais si nécessaires » réformes.

Luc Ferry dont les diplômes le rendent peu enclin à recevoir la leçon d’un ancien responsable de la communication d’une marque de café, aura donné bien du fil à retordre au maître. Il faut reconnaître que le bonhomme se croit sincère et qu’il subsiste en tout philosophe un fond de scrupule qui parfois lui fait confondre une amère pilule avec la ciguë. Etre toujours du parti de Gorgias contre Socrate peut être lassant. Mais c’est à ce prix que l’on peut continuer à prendre des airs modestes en affirmant qu’il n’y a pas de plus grand honneur que d’être en charge de l’éducation nationale. Faut-il lui rappeler que trahir une charge si honorable peut conduire tout droit à la roche Tarpéienne.

Je crains, ou plutôt j’espère, que le gouvernement actuel n’est que l’un des derniers avatars d’une République qui n’a plus que son nom pour se cacher. Je crois qu’ils n’ont pas conscience de la fragilité de nos institutions, qu’en réduisant la République à un conseil d’administration et la démocratie à une réunion de planning média, ils font de ce qui n’était encore qu’un malentendu persistant entre citoyens et politiques, une insulte déshonorante à l’encontre des premiers. Les hommes sont sans doute prêt à tout avaler du moment qu’il y a de quoi s’alimenter dans le tas, mais il ne faut pas abuser : les hommes ne passent pas leur temps à mentir à leur congénère ou à leur concocter des plans média. Ils n’ont pas l’habitude, et ils finiront par vomir les politiques.

Qu’on m’insulte et qu’ensuite on m’explique que j’ai mal entendu est une chose qui fait de moi le petit frère des jeunes de banlieue. Lui, mon aîné dans le mépris subi, n’irait pas par quatre chemin avant de répondre d’un simple crachat. Et c’est la seule chose qui m’est venu à la bouche quand j’ai assisté aux protestations éhontées de l’UMP face au jugement rendu à l’encontre de Juppé. Il ne m’a fallu que quelques instants pour comprendre que ces hommes – que pourtant je ne déteste pas a priori – faisaient plus cas de leur Safrane que de la République.

Je devrais m’arrêter ici, mais demain le gouvernement va « annoncer », « claironner » que le nombre de demandeurs d’emploi en France a baissé de 30 000 au mois de janvier. Je veux bien croire que je suis un crétin qui confond chômeurs allocataires et demandeurs d’emploi, mais qu’a-t-on fait des 180 000 allocataires radiés de l’Assedic au 1er janvier 2004 ? Ont-ils tout à trac trouvé un emploi ? Sont-ils comptés ou décomptés ? S’ils sont décomptés, alors le nombre de chômeurs a crû de 150 000 au mois de janvier. Et mon petit doigt me dit qu’il va falloir que Raffarin donne une nouvelle leçon de communication, car Fillon a d’autres ambitions que de faire de la réclame.

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