Michael Moore, mort ou vif

C’est devenu une telle mode de critiquer les « médias de référence » que je me sens un peu gêné de le faire à mon tour. Pour simplifier, je dirais que le problème premier de la « presse de référence », c’est qu’elle fonctionne par case. Une case, une cible, un espace annonceur, etc. On fabrique une recette pour chaque case, et on l’applique.
Par exemple, dans la case plat de résistance du Monde 2, il s’agit d’un « grand portrait » qui fait la couverture, en photo et gros titre. Pour l’amateur d’enquête longue et fournie, ce format a de quoi séduire, le grand portrait daté du 7 mai 2004, comporte pas moins de 10 pages de textes et de photos avec plein de petits encadrés qui permettent au lecteur du dimanche de s’aérer pendant qu’il ingère le papier principal.
Jusque là pas de souci. Pourquoi les directeurs de rédaction ne concevraient-ils pas leur journal de la sorte : positionnement par rapport à un cible de lecteurs, ligne éditoriale, chemin de fer type, maquette, gabarit et ensuite on remplit les cases.
Le problème, c’est que le contenu, c’est-à-dire, soyons précis, ce qui est contenu dans les articles, ne rentre pas toujours exactement dans les cases. Pour le numéro du 7 mai 2004, le « grand portrait » était consacré à Michael Moore. Comme je suis un fan de la première heure, je trouve l’initiative heureuse. Dix pages sur mon documentariste de héros, on ne va pas bouder son plaisir.
Difficile de rencontrer Michael Moore explique l’auteur du portrait en préambule. C’est bien pour cela qu’un tel portrait est précieux : Michael Moore est partout sur les écrans ou en librairie, et finalement on ne connaît pas grand chose de lui. Je loue donc la bonne idée du Monde 2 de mieux nous faire connaître l’homme.
Souci, au bout d’un feuillet de texte, on devine que jamais le journaliste n’a pu rencontrer le bonhomme. Comment faire un portrait de quelqu’un quand on n’a même pas eu deux heures pour faire un peu sa connaissance ?
Mais heureusement, il y a les cases, et la case « grand portrait » ne stipule pas dans sa définition essentielle qu’il faille nécessairement rencontrer le sujet portraituré. On se contentera donc de fouiller à droite et à gauche dans les autres portraits déjà parus, d’interroger les personnes qui l’ont connu et celles qui ne l’ont pas connu mais qui ont quelque chose à dire sur le bonhomme. Résultat, on obtient ce qu’il est convenu d’appeler une notice nécrologique.
Bravo au Monde 2, au Monde tout court, et à ce cher Nicolas Bourcier qui a dû faire son papier sans avoir rencontré son sujet. Et pis, là je le plains vraiment, il a dû « angler » son portrait sur le fameux schéma « ange ou démon », « génie ou charlatan ». On apprendra donc dans ce portrait sans sujet que le sujet reverse 1/3 de ses revenus à des oeuvres de charité mais qu’il ne dédaigne pas dormir au Royal Monceau quand il vient à Paris. Comment fait-il pour dormir, même dans un hôtel de luxe, avec de pareilles contradictions dans sa vie ?
Moi, par exemple, j’ai passé deux nuits au Ritz-Carlton de New York, au 11eme étage avec vue sur Central Park, et je ne reverse pas un tiers de mes revenus aux oeuvres, je dors très mal. Je ne vous parle pas de tous mes collègues journalistes qui ont également bénéficié des largesses des annonceurs de leur canard lors des inévitables voyages de presse. Qu’est-ce que ça doit être pour un réalisateur ou un acteur qui assure la promotion de son film, tous frais payés par la production, production qui en plus investit un paquet de fric en marketing et en pub, tout ça uniquement pour accroître son bénéfice ?

Il est temps que Michael Moore meurt. C’est embêtant les gens qui existent pour de vrai, qui ont des choses à dire et qui les disent en plus. Ça ne rentre pas dans les cases.

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