Chris Anderson : « demandons-nous ce que la science peut apprendre de Google »

Choisir ce texte pour cette sélection ne va pas de soi. Bien d’autres auraient pu lui être préférés. Et ce n’est pas pour son apport à l’édification d’Internet que le texte de Chris Anderson est important. C’est avant tout pour sa compréhension. Il éclaire sous un angle clair et concis l’immense ambition d’Internet.

Affirmer que le développement d’Internet va rendre superfétatoire le principe de causalité tel que nous le pratiquons dans les sciences depuis Newton, revient à se placer dans une perspective du type de celle d’un Emmanuel Kant évoquant la révolution copernicienne au moment où il s’apprête à fonder un nouveau paradigme de la connaissance avec sa Critique de la raison pure. Dire que nous avons assez de données pour nous contenter d’une corrélation sans avoir recours à une lourdeur formelle issue d’un édifice théorique dépassé comme le sont les sciences physiques, ça revient à dire que la question même de la vérité scientifique est caduque.

Chris Anderson, auteur de Free, et rédacteur en chef de Wired

Quand bien même Chris Anderson mesure et limite son propos, c’est bien de la confrontation des sciences expérimentales avec la société technologique qu’il s’agit. Cette dernière nous procure assez de données sur le réel pour trancher une bonne partie des questions qui auparavant auraient nécessité la mise en place d’un protocole d’étude scientifique. Avec Internet, si les datas sont disponibles en réseau, l’algorithme adéquat nous dira instantanément ce qu’il en est de l’énoncé : « tous les corbeaux sont noirs ». Et la question ne sera plus de savoir si l’énoncé est « vrai » ou « faux », mais s’il est vrai à x ou y %.

Collecter les données pour reconstruire le savoir

Les chiffres, la mesure, l’observation, le réel ne sont plus la matière à produire de la science, mais la matière elle-même du savoir. Pour bien comprendre l’intention de Chris Anderson dans ce texte, il convient d’entendre Tim Berners-Lee parlant des « raw data » lors de son allocution la même année à la TED conference. TBL y affirme que la prochaine révolution d’Internet sont les « linked data », les données liées grâce auxquelles, il va dorénavant être possible d’obtenir des résultats dans la recherche contre le cancer ou les calculs astronomiques.

C’est le même genre de constat que feront l’été suivant, l’éditeur Tim O’Reilly et le journaliste John Batelle dans leur texte « Le Web à la puissance 2 : le Web 2.0 cinq ans plus tard ». Ils constatent en s’appuyant sur des exemples concrets que les capteurs actionnés directement ou non par les internautes mais dont les données convergent sur Internet permettent de construire toute sorte de modèles de connaissance nouveaux. Par exemple, certains sites donnant la parole aux patients sur leur maladie et les traitements qu’ils suivent peuvent aboutir à la construction de résultats cliniques meilleurs que ceux obtenus après les études classiques. Un autre exemple plus prosaïque est le suivi de la pandémie de grippe via les requêtes dans Google qui constitue également un bon outil de mesure.

Chris Anderson, The End of Theory : The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete, 2008, Wired

2 comments for “Chris Anderson : « demandons-nous ce que la science peut apprendre de Google »

  1. pierre gomy
    31 mai 2010 at 23 h 58 min

    bravo et merci pour ce blog passionnant sur lequel je vais revenir fréquemment. L’article d’O Reilly et Batelle est une feuille de route enthousiasmante pour les années qui viennent, au delà des applications dans le domaine du marketing. Il met de mots sur des intuitions qui me traversaient l’esprit depuis quelques temps : le net est le cerveau d’une planète, qui peu a peu prendra conscience d’elle même .

    Pierre

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