John Perry Barlow, une maison pour l’esprit

John Perry Barlow

Le poète a vu juste, du premier coup. En 1996, au moment où le Sénat américain vient d’approuver le Communication Decency Act (lié au fameux Telecom Act de la même année), stipulant entre autres choses que le fait de proférer des mots obscènes en ligne et ailleurs était passible de 250 000 dollars d’amende, John Perry Barlow voit rouge. De sa plume alerte, il rédige un court texte à l’attention des gouvernements qui deviendra rapidement l’étendard de tous les libertaires et hackers du Web. Pour le tout juste retraité du Grateful Dead (dont il fut l’un des principaux paroliers de 1971 à 1995), ancien directeur de campagne de Dick Cheney en 1978, toucher à l’indépendance du Web est insupportable. Le Cyberespace est une « maison pour l’esprit » (Home of Mind), et les gouvernements n’ont pas voix au chapitre, c’est en substance le message de John Perry Barlow. Aussitôt dit, aussitôt adopté.

Cette déclaration d’indépendance a servi de pierre de touche aux débats ultérieurs qui ont agité le cyberespace. Elle a servi de soutien à la promotion du concept de network neutrality, dont l’expression simplifiée est le traitement égalitaire de tous les « paquets » de contenus sur Internet. Cette déclaration affirme également une hétérogénéité radicale entre les deux mondes. Ainsi, ceux qui espéreraient étendre leur règne économique ou politique sur Internet en seront pour leurs frais s’ils ne se plient pas aux règles du cyberespace.

« Nos identités n’ont pas de corps »

Dans sa radicalité, John Perry Barlow ne s’est pas trompé. Et quand AOL-Time Warner a cru un instant dominer Internet, cette illusion s’est aussitôt évanouie. De même quand les gouvernements tentent de légiférer au-delà de leur prérogatives, les habitants du cyberespace veillent.
Les mots de John Perry Barlow porteront leurs fruits puisque deux années après, la cour suprême des Etats-Unis invalidera le Communication Decency Act, évidemment incompatible avec le premier amendement de la Constitution Américaine.

Le texte, relativement facile d’accès, n’en est pas moins riche. Et beaucoup d’affirmations en apparence gratuites se sont révélées juste des années plus tard. Concernant l’identité numérique, cette affirmation de John Perry Barlow trouve au moins une expression concrète dans le succès de Wikipedia ou la fronde des utilisateurs de Facebook face aux nouvelles conditions générales d’utilisations qu’on a tenté de leur imposer début 2009.

« Nos identités n’ont pas de corps; ainsi, contrairement à vous, nous ne pouvons obtenir l’ordre par la contrainte physique. Nous croyons que l’autorité naîtra parmi nous de l’éthique, de l’intérêt individuel éclairé et du bien public. »

John Perry Barlow, A Declaration of the Independence of Cyberspace (Bonne VF), 1996

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