Neuromancien est le premier roman mettant en scène un personnage passant le plus clair de son temps « dans » le « cyberespace ». La vision développée par William Gibson est une extrapolation des avancées ultimes de la cybernétique sur la modélisation du cerveau, les interfaces hommes-machines, les intelligences artificielles, etc.
Au début des années 80, William Gibson assiste à la naissance de la communauté cyberpunk, qui fait suite à la beat generation, mais dont les hallucinations procèdent non plus d’une injection du LSD mais de réalité virtuelle. La vision développée dans Neuromancien est d’abord celle d’une perte de contrôle. Le monde est devenu trop complexe pour que l’on puisse en avoir une représentation complète et précise. L’individu est écrasé, notamment par des pratiques capitalistes extrêmes. Une seule échappatoire, à part la drogue, le réseau. C’est uniquement dans le cyberespace que l’individu peut développer une personnalité « romanesque ». C’est là qu’il retrouve les caractères qui lui sont interdits et inaccessibles dans le monde « physique ».
Chef de file de la vague cyberpunk
Cette vision, typiquement cyberpunk et contestataire, rejoint deux schémas évoqués dans les textes précédemment présentés. Le premier est que la mise en réseau des connaissances est une nouvelle liberté, et cette liberté, aux yeux de Gibson comme pour les pionniers de l’Internet, s’inscrit dans une infrastructure technique qui ménage des espaces échappant au contrôle des dominants. Le second est qu’Internet remet en cause les rapports de l’individu au collectif. Remise en cause qui est l’objet des textes de Hakim Bey, Eric S. Raymond, Lawrence Lessig ou John Perry Barlow. Cette vision commune est que la médiation par le réseau de connaissance (via la machine…) permet de rétablir un collectif plus soucieux de l’intérêt général que sans.
William Gibson est un héritier direct de la vision très sombre de Philip K. Dick ou de William Burroughs. Ses livres ont inspiré Orson Scott Card (notamment dans La Stratégie Ender), Dan Simmons (créateur du terme infosphere (voir son roman Hypérion)) ou encore Neil Stephenson dont le metavers présenté dans son roman Snow Crash a directement servi de modèle aux créateurs de Second Life. Tous ces auteurs, voire même H. G. Wells dont le roman World Brain, the idea of permanent encyclopedia présente une vision prémonitoire d’Internet, aurait leur place dans ce recueil, car tous ont eu une influence sur le développement d’Internet.
Gibson est le plus connu des auteurs cyberpunk, le meilleur représentant à la fois de ses prédécesseurs et de ceux qu’il a inspiré. De plus, ses derniers livres, moins brillant ou épiques que ceux des années 80 sont encore des réflexions sur le devenir du réseau.
William Gibson, Neuromancer, 1984, Ace Books