L’une des problématiques majeures à laquelle ont du faire face des hommes comme Eric S. Raymond, informaticien, programmeur, hacker, en un mot « bidouilleur », c’est la complexité et le caractère fastidieux des projets de développement auxquels ils s’affrontaient. A première vue, plus un projet est complexe, plus il faut centraliser les décisions. L’idéal serait de pouvoir tout faire seul, mais il y a certains programmes informatiques qu’un homme seul ne peut développer. Donc, il est nécessaire d’établir une hiérarchie, d’assigner des objectifs à des groupes d’individus, chacun d’entre ces derniers recevant une série de tâches à effectuer. C’est le modèle de la cathédrale où un grand nombre d’artisans oeuvrent séparément à l’édification de l’ensemble.
Dans ce texte, Eric S. Raymond tente d’expliquer quelle est la meilleure façon de travailler ensemble sans chef. Il tire les conclusions de son expérience personnelle de développement et de son compagnonnage avec Linus Torwalds, le développeur du système Unix libre, Linux. Il va en tirer un certain nombre d’enseignements qui vont pour la plupart à l’encontre des idées reçues dans le domaine du management. Par exemple, Eric S. Raymond considère que l’une des qualités des grands développeurs est la paresse constructive. C’est cette paresse qui les conduit à chercher et inventer les solutions les plus simples et les plus économiques. La quête de la simplicité est également constructive dans les choix organisationnels : plus les principes sont simples à adopter, plus nombreux seront les développeurs qui les adopteront, et ainsi « Étant donné un ensemble de bêta-testeurs et de co-développeurs suffisamment grand, chaque problème sera rapidement isolé, et sa solution semblera évidente à quelqu’un. » Et voilà édictée la « loi de Linus ». Tout ça pourrait paraître bien amusant et sans lendemain si le texte de Eric S. Raymond n’avait pas eu des conséquences bien concrètes.
De Linux à Firefox, une même histoire
La cathédrale et le bazar a été présenté lors d’une conférence de développeurs en 1997, quelques mois plus tard, début 1998, les dirigeants de Netscape annonçaient qu’ils avaient pris la décision de rendre libre tout le code de leur navigateur et ce sous l’influence des constations publiées par Eric S. Raymond. Ce choix a clairement été dicté par l’offensive manière « cathédrale » de Microsoft avec le lancement de son navigateur Internet Explorer. Dix années plus tard, le navigateur « libre » est de nouveau en passe de devenir numéro un face à Explorer. Et ce n’est pas tout, la plupart des entreprises Web 2.0 ont eu à un moment ou un autre de leur développement recours à des procédures de partage ouvert. Un exemple parmi des milliers d’autres, c’est pour accélérer le développement de leur encyclopédie qui ne comptait qu’une vingtaine d’articles après deux ans de travail, que Jimmy Wales et Frederik Sanger, les futurs co-fondateurs de Wikipedia, ont ouvert un wiki ouvert à un plus large cercle que le comité éditorial initial. Ils n’ont pas tardé à comprendre que les bénéfices de la version « brouillon » en wiki de l’encyclopédie étaient largement supérieurs à ceux de la version finalisée.
C’est dans le même esprit enfin que Google publie sans cesse de nouveaux services en version bêta, non finalisée, parce que les utilisateurs sont les meilleurs testeurs, les meilleurs yeux pour voir « ce qui ne va pas ». La cathédrale et le bazar est un texte fondateur d’un nouveau paradigme qui repose sur deux principes simples :
- « Il vaut mieux avoir des structures de données intelligentes et un code stupide que le contraire. »
- « Distribuez tôt. Mettez à jour souvent. Et Soyez à l’écoute de vos clients. »
L’usage et les données sont plus importantes que l’outil lui-même. C’est en renversement majeur dans nos manières d’aborder les questions de la connaissance et de la communication.
Eric S. Raymond, The Cathedral and the Bazar (Bonne VF), 1997, First Monday