Le réveil du 8e continent

Avons-nous pris la mesure de notre force ? Nous, silencieux ou bavards, qui posons chaque jour nos regards et nos mots sur la toile, imaginant que se tissent devant nous les liens d’un nouveau monde. Sommes-nous conscients, pleinement conscients, de notre pouvoir ? Comprenons-nous quel courage et quelle énergie il faudra déployer pour qu’un changement ait lieu ?

La présence de Lessig, Barlow, Jarvis dans notre vieux pays, hommes qui ne sont caution de personne mais au contraire porteurs d’une nouvelle universalité, se doit d’être saluée.

Salut donc au blogueur Jeff Jarvis qui le premier fit plier une puissante corporation en contant jour après jour ses menus déboires de service après vente, démontrant au passage que l’écho d’une voix sincère et argumentée dans la blogosphère avait cette propriété particulière de se démultiplier à en devenir assourdissante.

Salut au juriste/codeur, Lawrence Lessig, qui, descendant de son honorable chaire à Harvard, vint proposer à chacun de devenir le maître modeste mais incontestable de son droit d’auteur, sapant pour toujours le piédestal sur lequel les « artistes » professionnels se juchent pour se distinguer de la masse des amateurs et qui, conjugués aux pratiques des majors (les grands en latin, n’est-ce pas), était élevé comme un rempart écrasant, interdisant à chacun d’exprimer son désir de créer ou de partager ce que Kant appelait joliment l’universel subjectif : le sentiment du beau…

Salut à toi, John Perry Barlow, le cowboy justicier, l’indigné modèle, enragé, qui un jour de 1996, fit entendre à tous qu’il ne l’entendait pas de cette oreille, que décidément non, ils (les Sénateurs américains) n’allaient pas aussi mettre leur nez dans le cyberespace pour y graver les logos des firmes sponsors d’une insupportable bienpensance de galerie marchande.

Pourquoi donc suis-je si emphatique, hein, pourquoi ne dirais-je pas simplement en 3 tweets ce que l’on doit exactement à l’un et à l’autre ? Dussè-je être lourd jusqu’au bout, je vais le dire tout haut : ils ont fait entrer Internet dans l’histoire politique mondiale. Pourquoi devrais-je donc me gêner puisque ce sont les Rousseau, Diderot, Voltaire de notre temps de les louer comme des bienfaiteurs de l’humanité.

Mais surtout, surtout, quand dès le réveil j’entends à la radio, sur ma timeline, dans la rue, au comptoir, mon vieil anar de père, mon amie, ma bonne amie, tous mes proches, mes élèves, mes clients à la pause café, les indignados de l’autre côté des Pyrénées, les insurgés de toute la Méditerranée, entonner les uns en offrant leur poitrine aux fusils adverses, les autres, plus discrets, d’un inlassable murmure convaincu que ça doit changer, que ça va changer, je me dis qu’il faut rassembler ses forces, élire des figures tutélaires, chauffer les claviers, remplir les tuyaux de tweets, de vidéos, de billets, d’espoirs, d’appels, de liens, à faire exploser le consensus qui leur sert de couvercle.

Les gouvernements s’adressent à nous comme à des enfants, félicitant notre enthousiasme, sûrs et certains que nous finirons par nous plier aux bonnes règles de nos démocraties de papier, de ces républiques qui enterrent chaque jour un peu plus profondément le frêle pacte social qui leur a donné naissance, mais feignant, crânement, de ne pas voir ce qui pourtant crève les yeux : ce sont eux les enfants, gâtés par l’assurance des intérêts supérieurs de la nation qu’ils comptent en points de sondage et en coup de fil à un ami (qui donne la réponse en 30 secondes), confondant les outils de la démocratie avec des jouets du pouvoir, et parfois même incapables de reconnaître le droit parce qu’il ne leur donne pas le droit de faire ce qu’ils veulent.

Le 8e continent se réveille, Internet est le lieu où les femmes et les hommes deviendront enfin adultes responsables de leur destin, c’est ainsi, c’est l’histoire, c’est une guerre civile qui commence, une vraie guerre civile, elle comptera de vrais morts et aussi beaucoup de morts symboliques, mais ceux qui s’élèveront dans la fumée des octets seront des humains ni plus grands ni plus forts que les autres, juste plus responsables, plus courageux, plus honnêtes, tout comme le sont nos amis Jarvis, Lessig et Barlow. Salut à vous.

Quelques liens :

Sur Jeff Jarvis et sa fameuse aventure avec le SAV de Dell : l’un de ses derniers billets sur le sujet. Jeff Jarvis est également l’auteur de l’excellent What Would Google Do ?

Sur Lawrence Lessig, bon, ben, mon billet.

Sur John Perry Barlow, bon, ben, pareil, hein, encore mon billet, mais surtout la déclaration d’indépendance du cyberespace.

Sur le G8 du numérique, la couverture de l’événement par Owni. La retransmission des interventions en vidéo.

2 comments for “Le réveil du 8e continent

  1. JCF
    26 mai 2011 at 9 h 28 min

    Merci David d’exprimer aussi clairement les enjeux et tout l’espoir positif de ce 8e continent !!! Ça fait vraiment du bien à lire 🙂

  2. David Prud'homme
    26 mai 2011 at 10 h 01 min

    Merci, c’était l’idée… Faisons-nous du bien en pensant à tout ce qu’on peut faire de mieux.

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